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lundi 22 août 2011

Bigoudène


Petits, mes frères et moi avions chacun notre bol breton avec nos prénoms respectifs gravés dessus. Des vrais. Achetés à Saint-Gildas de Rhuys, une commune située dans le Golfe du Morbihan.

Ces bols, nous les utilisions quand petits, nous vivions en Bretagne dans le même village que nos grands-parents. Puis après déménagement, lors de nos séjours en vacances ou en week-ends. Parce que ce n'était que là bas que manger sur fond de Bigoudène prenait tout son sens. Ajoutez à cela l'odeur de galettes de sarrasin et de froment fraîchement cuisinées qui caractérisait si bien la maison du grand-père et de la grand-mère, le feux de bois qui crépitait dans la cheminée pour réchauffer les journées d'hiver, une brioche dorée sortie des mains de boulanger du grand-père, des promenades à vélo sur les chemins de campagne et vous aurez une petite idée de la joie éprouvée à se sentir bretons et vivre des bonheurs simples. La vie, en somme.

Et puis, les bols se sont cassés. Tout comme la santé des grand-parents. Les mains du boulanger ne sortiront plus de quatre-quarts chauds et moelleux du four, la grand-mère n'attisera plus le feux dans la cheminée et nous arriverons, une journée d'hiver, dans le froid, pour découvrir ces bols ébréchés, vestiges d'un passé dérobé. On se dit que c'est la vie et on fait comme si... Mais les fêlures se répandent et rien ne sera plus jamais comme avant. La vie, en somme.

L'autre jour, en passant devant la boutique La Friande à Nantes, j'ai vu ces bols. Les nôtres. Ceux remplis de lait dans lesquels nous trempions nos tartines de pain grillé, beurrées à la motte demi-sel comme il se doit. Ceux que l'on tient par les oreilles pour boire les dernières gouttes du chocolat chaud des journées froides.

Alors, je suis entrée dans la boutique. J'ai cherché mon bol, celui avec mon prénom. J'étais fébrile à l'idée d'être sur le point de tenir entre mes mains un fragment de mon enfance. De caresser de me doigts ceux de mes grands-parents. De ressentir au creux de ma paume l'odeur de la brioche et le crépitement de l'âtre.
Mais de mon prénom, pas de trace.
La déception m'a étranglée la gorge et rougit les yeux. La vendeuse qui me regardait à ce moment là, m'a gentiment proposée de commander ce bol avec mon nom dessus. Il sera livré en fin de semaine, m'a-t-elle dit avec un sourire. Je me suis sentie moins étranglée et je lui ai souri ma reconnaissance.

Le voilà donc. Ce couple Bigouden dont le regard me relie à la Bretagne et à mes souvenirs. Ces deux oreilles de chaque côté qui me rendent petite fille pour boire mon lait. Ces mains qui s'y accrochent dans l'espoir fou de toucher ce qui n'est plus. La Bretagne vous gagne et ne vous rend jamais vraiment. Et c'est tant mieux.
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3 commentaires:

  1. ooooh il est très beau ce texte et me parle beaucoup. Je n'avais pas de bol avec mon prénom (Eva n'était pas très courant dans les années 80) mais ma soeur en avait un et j'en étais jalouse.
    Je suis aussi très fière d'être Bretonne.
    Tu m'as donné envie d'aller boire du lait ribot et manger un Kouign Amann.
    Des bisous coupine.

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  2. Maintenant, il suffit de demander dans n'importe quel magasin qui vend des bols comme ceux là, et tu as ton prénom dessus. Même un mec qui s'appelle Pedro ou Sergeï peut avoir son bol breton. Parce que les bretons sont cools ;-)

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  3. Oh j'en ai un aussi ! C'était le prétexte utilisé par ma mère pour me faire boire ma soupe : "bois, et tu verras quel dessin il y a au fond du bol !"
    Je dois dire que ça marche bien. Et 20 ans après, ça marcherait encore.

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